AVANT PROPOS

Comme le « Marais Poitevin » on pourrait qualifier le « Spreewald » – qui se trouve à environ 80 km au sud-est de Berlin – de « Marais Berlinois ». Cette zone basse, où la rivière Spree se transforme en centaines de petites voies d’eau à travers les prairies et les forêts préservées, est une merveille de la nature. Comme la plupart du Brandebourg, cette région a été sculptée au cours de la dernière ère glaciaire par les glaciers en fonte. Au fur et à mesure que les glaciers commencèrent à disparaître, ils laissaient derrière eux un réseau délicat de cours d’eau entrecoupés par de petits tas d’îles de sable, soulevées par des dépôts. Au fil du temps, d’autres dépôts ont formé des marais plats avec des forêts épaisses de pins, de bouleaux, de saule, de chêne, de citron et d’aulne.
TOUT COMMENCE A BERLIN

Mon Dieu, ils exagèrent vraiment dans ce pays avec leur protection de l’environnement! Après les premières trois heures de notre randonnée à vélo qui doit nous conduire de Berlin au Spreewald et retour, Mireille et moi, nous nous arrêtons en sueur et assoiffées devant une espèce de magasin qui s’appelle « Drogerie » en Allemagne. On peut y acheter plein de choses, mais nous sommes juste intéressées par de l’eau minérale car nos gourdes sont déjà vides. Nous avons vu en passant dans la cour des caisses de bouteilles.
PITIE, DE L’EAU !
Pendant que Mimi reste avec les vélos, j’essaie, d’acheter deux bouteilles minérales. Pas évident! Tout d’abord, je dois attendre longtemps que l’homme arrivé avant moi soit servi. Ensuite, la vendeuse au décolleté vertigineux me dit d’un ton sec: « Boissons au sous-sol à gauche. » On n’est pas plus aimable! Pas de doute, nous sommes encore toujours à Berlin… Je descends donc. Pendant ce temps, le vendeur range les caisses dans la cour. Je suis bien élevée, j’attends patiemment. Enfin, le vendeur arrive avec le même homme que précédemment, qui veut maintenant acheter un chou. Il prend simplement ma place et là, je commence à m’énerver! Comme il s’agit manifestement d’un client régulier, il est naturellement préféré à un simple client de passage. Quand vient enfin mon tour, je vais d’étonnement en étonnement : plus d’ UN EURO pour une bouteille de Vittel PLUS 50 centimes de « pénalité » pour une bouteille non consignée – si je raconte ça à Paris, personne ne me croira !

L’eau minérale locale en bouteille de verre, en revanche, ne coûte que quarante cents, plus quinze autres pour la consigne. Je remplis l’eau dans nos bouteilles thermos et nous continuons. Mais il fait si chaud en ce 9 juillet que nous avons vraiment besoin d’eau à nouveau dans l’après-midi.
Cette fois, c’est Mimi qui s’y colle au SPAR. Acte 1 : Acheter de l’eau et payer à la caisse. Acte 2 : Remplir votre gourde et rapporter la bouteille vide au fin fond du magasin après avoir sonné une cloche et attendu. Acte 3 : Malgré la petite caisse enregistreuse, qui s’y trouve, vous ne récupérez pas tout de suite l’argent du dépôt, car ce serait trop facile ! Non, vous recevez un bon pour l’acte 4 : faire à nouveau la queue à la grande caisse pour utiliser le bon. Quand Mi me raconte tout ça, je tombe presque de mon vélo en riant – tout cela est tellement et horriblement allemand !
Les gens d’ici sont nettement moins alertes et sympathiques que le conducteur plein d’esprit du train de la Deutsche Bahn de Paris à Berlin, qui amusait toute la voiture-bistrot avec ses histoires pendant la pause café du matin, tandis qu’à l’extérieur le » nouveau Berlin » défilait entre Bahnhof Zoo et Ostbahnhof, lequel n’était pas encore terminé lors de notre dernière visite il y a quatre ans : la Chancellerie et le Dôme du Reichstag, la « Mairie Rouge », l’Alexanderplatz et encore et toujours des ‘forêts’ entières de grues. C’est très impressionnant !

En arrivant à Ostbahnhof, nous avons libéré nos vélos, qui – chouette! – ont fait le voyage gratis. Le contrôleur français était trop snob pour nous aider à les hisser dans le wagon prévu à cet effet et son collègue allemand était occupé à autre chose. Fonctionnaires de tous les pays, unissez-vous ! Maintenant, nous descendons dans un ascenseur flambant neuf et spacieux. Nous admirons au passage l’agréable construction en verre. Devant la gare, un chauffeur de taxi berlinois – aussi peu aimable que ceux de Paris – m’explique comment il faut aller en direction du canal de Teltow : « A droite, au feu à gauche, tout droit ! » Plus sec, il n’y pas. On part. Nous arrivons d’abord – au Mur. Un grand pan est devenu, pour ainsi dire, une galerie à ciel ouvert. En l’an 2000, ce pan a été repeint « avec style » par des artistes du monde entier. A côté, la partie vieille, authentique, a l’air pâle, délabrée et, en quelque sorte, touchante.

Un peu plus tard, nous sommes fascinés par deux personnages surdimensionnés en métal perforé qui semblent flotter au-dessus de la Spree. Nous passons devant les anciennes installations industrielles du port, qui font l’objet d’une restauration de style. Partout on construit ou on rénove à tout va.

Nous traversons le Treptower Park, où des hommes nus comme des vers bronzent au soleil et où nous apercevons même une petite tente. Imaginez cela dans le Bois de Boulogne ! Nous admirons ensuite de belles villas au bord du parc, qui se confondent bientôt avec les maisons ‘en rangée’ typiques de la banlieue berlinoise que je connais de Zehlendorf. J’ai beaucoup à faire avec la lecture de la carte et j’apprends à Mimi comment distinguer les rues de l’ancien Est ou de l’Ouest : Les plaques de rue ont encore une typographie différente !
Mi me demande, très étonnée : « Dis-moi, les gens ici ne sourient-ils jamais ? « C’est vrai, beaucoup de personnes âgées ont l’air carrément grognons. D’un autre côté, les Parisiens ne sont aussi pas toujours particulièrement rieurs…
Nous achetons des sandwichs et des cerises de Werder et souhaitons pique-niquer au Langen See/Lac long, juste avant Schmöckwitz. Le lido est presque désert car les gens veulent économiser le prix d’entrée. Au lieu de cela, une foule pas du tout ou à peine vêtue se bouscule sur la rive couverte de roseaux, et nous devons lutter pour trouver un endroit tranquille. Malgré la chaleur, plus de 30° à l’ombre, il m’est difficile de plonger dans cette eau sale et ce n’est que dans l’après-midi que je pourrai me baigner dans l’eau propre et fraîche du Krossiner See. La sensation familière du sable du Brandebourg sous mes pieds est merveilleuse !

Pendant ce temps, Mimi admire la file d’attente impeccable qui s’est formée devant la camionnette du marchand de glace. J’essaie d’engager la conversation avec quelques femmes sur la rive, car nous devons trouver un logement. Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu un seul panneau indiquant « chambre disponible », ce qui est étonnant en raison des nombreux lacs magnifiques qui se trouvent ici. Il faut dire que nous calculons désormais en kilomètres vélo et non plus en kilomètres voiture. Nous ne sommes pas encore assez éloignées de Berlin, les « gens normaux » ne passent pas la nuit ici.
Néanmoins, une jolie petite pension nous conviendrait très bien maintenant, car après plus de trente kilomètres à vélo, nos derrières commencent à se rebeller. Oui, tu parles ! Soit nous trouvons un hôtel ultrachic aux prix exorbitants mais avec ses propres chaises longues au bord du lac à Wernsdorf, soit nous tombons un « Gasthaus zur Linde » à moitié détruite sur la route principale. Ou un centre de vacances de bungalows lugubres « Germania » datant de l’époque tout aussi lugubre de la RDA, ou un hôtel bruyant sur la bretelle d’autoroute vers KW (Königs-Wusterhausen en VO).
Après quinze autres kilomètres héroïquement parcourus, nous trouvons cependant ce que nous cherchons à Niederlehme, en sorabe « Nižše Łomy« . Nous verrons bientôt beaucoup de panneaux bilingues dans le Spreewald, où les Sorabes – également appelés les Wenden – se sont installés au 6ème siècle et où 45 000 d’entre eux vivent encore aujourd’hui. Un petit panneau sur la route principale nous dirige vers le « Gasthaus an der Dahme ».

DEUX DAMES A LA DAHME
Cinq minutes plus tard, nous nous retrouvons dans une chambre à deux lits, simple mais impeccable, dont les fenêtres donnent sur des tilleuls et la rivière. Le drap de dessus de Mimi est troué, une seule des trois ampoules du plafonnier fonctionne, et il n’y a pas de rallonge pour l’unique lampe de chevet. Mais pour quoi faire ? LIRE??? Il y a une énorme télé qui TRÔNE véritablement dans cette petite pièce. Le coût pour toute cette splendeur avec douche et toilettes sur le palier : 18 € par personne plus 3 (!!) pour le petit-déjeuner. C’est ce qui est écrit sur un grand panneau joliment peint, « judicieusement » mal disposé sur le parking devant l’auberge – c’est-à-dire quand vous êtes déjà arrivé ! – plutôt que sur la route.
Un peu plus tard, douchées et rafraîchies, nous nous asseyons à une table au bord de l’eau avec vue sur les péniches, les cygnes et les canards qui passent. Nous mangeons un délicieux plat du jour qui n’est pas au menu, à savoir des girolles avec des pommes de terre sautées et une salade, et ce pour seulement 8 € ! Affamées, nous nous jetons dessus (sans nous soucier du fait que les girolles qui sont dans l’assiette viennent probablement de Pologne ou de Tchernobyl). Si seulement la bière et le panaché étaient un peu plus frais ! Il fait toujours incroyablement chaud et il n’y a pas UN souffle d’air !
Alors que j’allume une cigarette après le dîner et que nous regardons un homme prendre un bain dans la Dahme, le ciel s’assombrit à vue d’oeil et une demi-heure plus tard, les premiers éclairs jaillissent au-dessus des toits du village.Tout à coup, nous voyons les arbres, situés à environ trois cents mètres de nous, secouer leur couronne comme s’ils étaient incrédules, comme pour repousser la tempête, non, l’ouragan, qui se déchaîne sur eux. Cela ne leur servira à rien. Tous aux abris !! Nous avons tout juste le temps de disparaître dans notre chambre avant que les choses sérieuses commencent. Néanmoins, nous devons avouer à notre grande honte que nous ne remarquons absolument rien de la « tempête du siècle » (le siècle n’a que deux ans et demi !), car une nuit en couchette plus quarante-six kilomètres de vélo suffisent à nous faire sombrer immédiatement dans un profond sommeil.
Ce n’est que le lendemain matin, lorsque le soleil brille à nouveau comme si rien ne s’était passé, que nous apprenons aux informations du matin ce qui s’est réellement passé cette nuit-là. Nous entendons parler des pauvres jeunes du camping de Berlin (ensevelis à jamais dans leur tente) et, tout au long de notre randonnée à vélo, nous croiserons des arbres déracinés ou « tordus ».
Bien sûr, nous parlons de la tempête avec le propriétaire de l’auberge, qui est là spécialement pour nous. Il nous a préparé un somptueux petit-déjeuner à huit heures et demie et nous dit : « C’est vraiment pour vous, car je n’ouvre en fait qu’à 11 heures« . Cela m’étonne beaucoup, et pendant que nous nous attaquons les quatre fromages différents et six (!) sortes de charcuterie, je lui demande comment va la vie douze ans après la chute du mur de Berlin ?
Il vient de l’Est de Berlin et jusqu’au passage à l’Euro, il n’avait pas à se plaindre. Il avait assez à faire avec les anciens cheminots, dont cette auberge était le « Centre » et avec les clients « qui viennent par l’eau ». Mais cette année, rien ne va. Les gens réfléchissent à deux fois s’ils achètent leur bière chez ALDI pour la boire à la maison ou s’ils viennent chez lui parce que tout est devenu (trop) cher. Le gaz et d’électricité ont déjà été augmenté trois fois – alors que lui, il a réduit ses prix de moitié ! Bien sûr, le mauvais temps du printemps n’a pas arrangé les choses. Même s’il faisait plutôt beau le dimanche, les gens avaient souvent déjà opté pour autre chose — et spontanément décider quelque chose ? Non, ça ne se fait pas en Allemagne…..
Quand j’attire, très prudemment, son attention sur le panneau un peu mal placé sur son parking, il me répond, pas du tout vexé, que le nouveau est prêt depuis quelques semaines, mais qu’il n’a pas encore eu le temps de le poser dans la rue. Et il ajoute fièrement qu’il peut être trouvé sur Internet ! Postscriptum: Le lendemain soir, je découvre que j’ai oublié ma chemise de nuit dans la chambre du Gasthaus. Pour diverses raisons, je n’appelle que 5 jours plus tard, et lorsque je demande s’ils ont trouvé mon vêtement, j’obtiens la réponse incroyable : « Je ne sais pas – nous n’avons pas encore fait la chambre ».
Bien que le soleil brille à nouveau après la tempête et que le monde entier semble avoir été fraîchement lavé, les personnes qui nous rencontrent à vélo ne nous saluent jamais. Notre « Guten Tag » est également à peine retourné. Mimi me demande si les habitants du Brandebourg sont toujours aussi têtus, et je propose diplomatiquement le mot « réfléchis ».

Le paysage est très varié et nos pistes cyclables sont vraiment agréables car elles nous protègent des voitures. Souvent, nous pédalons aussi sur des chemins sablonneux à travers une sorte de paysage de bruyère parsemé de bosquets de pins, d’étangs et de petits lacs.
Dans les petits villages que nous traversons, nous pouvons clairement reconnaître qui se porte bien financièrement et qui ne l’est pas: le toit tout neuf avec des tuiles rutilantes qui semblent avoir été vernies, ainsi que par les fenêtres, les portes et le crépi. Mais presque TOUS ont la manie des nains de jardin ! Blanche-Neige et son équipe, des moulins à vent, des cerfs, les escargots géants qui grimpent sur les murs des maisons (beurk), des cigognes, des chiens en plâtre sont à l’aise dans les jardins ou sur les balcons. À Berlin, nous avons même vu le » summum » sous la forme de flamants roses en plâtre, dont les petites plumes collées s’agitent dans le vent …
Comme l’orage a considérablement rafraîchi l’air, nous voulons avoir une soupe chaude à midi dans « L’oie grise » à Selchow. Deux femmes balaient les branches abattues par la tempête devant l’auberge. Nous demandons poliment si nous pouvons manger quelque chose ici et on nous lance : « Vous voyez bien que ce n’est pas encore prêt ! Seulement dans trois quarts d’heure. » Or, il est midi et demi, c’est donc l’heure du déjeuner. Mais nous perdons vraiment tout crédit, quand nous osons demander ce qu’est une « Solyanka faite maison ». La punition pour une question aussi insolente, car ici il faut évidemment tout connaître, c’est vingt minutes d’attente pour deux boissons et aussi la soupe, dont le goût est si aigre que nous sommes maintenant furax ! Malheureusement, ce ne sera pas la dernière rencontre avec le style de l’ancienne RDA en ce jour.

En entrant dans Neu-Schadow en fin d’après-midi nous voyons, oh miracle, le premier panneau « Ferienwohnung/Appt. à louer ». Il est occupé, mais la sympathique propriétaire nous dirige vers l' »Amalienhof« , à seulement 500 m plus loin. Là encore, il n’y a pas un seul panneau dans tout le village qui l’indiquerait. On se croirait au fin fond de la France…
Nous traversons la Spree à vélo, sous le soleil du soir, et dix minutes plus tard, nous sommes assis près d’une petite fontaine dans le jardin de la pension. Une belle grande chambre avec salle de bain dans la cour récemment rénovée, dont la salle de fitness et le sauna nous sont fièrement montrés, sera la nôtre ce soir.
Maintenant, il ne nous reste plus qu’à nous occuper de notre dîner. Le menu de l’auberge voisine à la pension, tenue par la même famille, ne nous inspire pas et nous traversons donc le village à vélo (sans bagages, nos vélos semblent légers comme une plume !) jusqu’au » Restaurant du Lac « . Bien sûr, nous aimerions à nouveau manger à l’extérieur et la vue de la terrasse sur le lac, à travers les pins, est vraiment très romantique. Mais ce sera tout.
J’ai un pressentiment horrible lorsque je vois deux dames âgées débarrasser leurs assiettes et jeter leurs couverts dans des boîtes prévues à cet effet dans un coin. En fait, nous sommes tombées sur un ancien restaurant self-service de l’ex-RDA – bien que le terme « restaurant » soit très exagéré. Il y a effectivement une salle avec des tables, des chaises et un comptoir, ainsi qu’une jeune femme. Cette pièce est complètement vide à cause du beau temps. Je demande si la dame sert ici. Elle me répond d’un ton sec : « Seulement à l’intérieur ». Mais comme nous voulons manger à l’extérieur, réponse encore plus sèche : « Nourriture à côté au comptoir, boissons dans la salle à côté ». Je ne peux pas m’empêcher de lui demander ce qu’elle fait exactement ici. Sa réponse, logique à sept heures du soir : « Je m’occupe du café et des gâteaux ».
Résignées, nous allons à côté au comptoir et avons le choix entre toujours les mêmes escalopes de porc « gitanes » ou « chasseurs », le Toast Hawaii ou le filet de poisson congelé avec salade de pommes de terre ou pommes de terre frites. Ces derniers sont toujours les meilleurs. Au bar d’à côté, on trouve un Müller-Thurgau très correct pour dix euros la bouteille. Mais lorsque je demande une petite bouteille d’eau minérale, on me répond d’un ton pincé : » Nous ne sommes pas un établissement cinq étoiles, nous n’avons que des grandes bouteilles à deux euros quatre-vingt « . Nous avons vraiment l’impression d’être une nuisance. Ils devraient mettre un panneau ici :
» Les clients sont seulement les bienvenus pour admirer la vue » !
Même la jeune propriétaire de notre pension a du mal à desserrer ses dents le lendemain matin. Elle ne nous demande même pas ce que font deux Parisiennes à vélo dans le Spreewald. Étrange ! Nous remontons sur nos vélos. Le soleil brille, les tilleuls embaument, le blé mûr et la chicorée bleue nous saluent. Je me sens tellement bien que je me mets à chanter. À partir de Neu-Lübbenau, le nombre de nains de jardin diminue considérablement et le nombre de personnes souriantes augmente. Mais, hélas, il en va de même pour les voitures qui nous dépassent avec vacarme et l’odeur sur la route, qui ne comporte malheureusement pas de pistes cyclables aujourd’hui. Mireille est stupéfaite de voir tant de voitures de classe moyenne et supérieure impeccablement lavées, toutes avec des numéros locaux. Les choses ne vont donc pas si mal ici pour les gens, douze ans » après « …
Nous admirons le merveilleux plafond peint de la splendide église à colombages de Schlepzig et ne savons pas encore qu’elle restera la seule église dans laquelle nous entrerons pendant tout le voyage. Il y a des panneaux d’invitation «église ouverte» postés à l’entrée partout, mais elles sont finalement fermées, ou ouvertes seulement deux heures par jour et à coup sûr jamais quand nous le souhaitons.

Continuons, explorons le très instructif « Buchenhainlehrpfad/sentier pédagogique de la hêtraie » et pour la première fois nous devons combattre les moustiques. Mais il fait merveilleusement frais et calme ici, à l’opposé du village, où plein de groupes de personnes grassouillettes et gloussantes se tiennent devant chaque boulangerie. C’est terrible lorsqu’ils portent un short de cyclisme moulant, des lunettes de cyclisme gigantesque jaunes, des gants en cuir – avec des trous, s’il vous plaît ! – et des casques très « design ». A côté, bien sûr, nous faisons ‘amateurs’, en pédalant le long des quatre étangs qui ont été créés à côté de la Spree ces dernières années. C’est un paradis pour les hérons, les loutres, les cygnes et toutes sortes de canards, et nous faisons en prime la connaissance du certainement très célèbre « canard sarcelle ».

Nous continuons vers Lübben, mais réservons la visite pour une autre fois, tant le bruit et l’odeur des voitures sont inconfortables. On s’habitue si vite au silence ! Nous devons par contre absolument manger quelque chose ici. Dieu merci, je vois une boulangerie de l’autre côté de la rue. Oh non, ce n’est pas du tout une boulangerie, c’est un « back shop », car malheureusement le « Denglish », à savoir l’Anglais mélangé à l’Allemand, a aussi trouvé sa place ici. En plus du salon de bronzage « Sun Flirt », il y a un « Scene Shop », pas sûr que les gens sachent ce que cela signifie. Les personnes que nous rencontrons parlent encore un allemand normal, sans parsemer chaque phrase d’anglicismes, et ma collection de signatures pour l’« Association de langue allemande », qui proteste contre cette mauvaise habitude, s’enrichit à vue d’œil partout avec bonheur.
Retour à la boulangerie : en France je résiste très bien aux gâteaux – en Allemagne jamais ! Aujourd’hui, on se régale d’un crumble aux cerises, d’un gâteau aux graines de pavot et d’une « Eierschecke » particulièrement délicieuse, une sorte de gâteau au fromage blanc. A se mettre à genoux ! Alors que je continue à faire du vélo, je rêvasse en me demandant si ce serait une bonne idée d’ouvrir une « Pâtisserie allemande » dans notre immeuble sur la place des Marronniers (Saint-Maur-des-Fossés) à la place du cabinet des infirmières…

Après une sieste originale à côté d’un magnifique chemin de bouleaux, nous roulons sur le « Nordumfluter » vers le cœur du Spreewald et arrivons en soirée à Alt-Zauche, où, grâce aux documents de ma cousine Uta, j’ai réservé une chambre pour deux nuits chez la famille Dorandt .
C’est une jolie ferme avec une maison principale, des dépendances et des écuries, un garage, une serre et une immense grange. La pelouse est bien entretenue et la véranda est couverte de géraniums. Ni le nain de jardin avec une pancarte « bienvenue », ni la balançoire hollywoodienne ne manquent à l’appel. Il y a le « vieux canapé du boom économique » avec l’oreiller bien plié au milieu et nous emménageons dans l’ancienne chambre des parents pour deux nuits. Au dîner, nous mangeons de délicieuses spécialités du coin dans la cour de la seule auberge du village : « Grützwurst » avec choucroute, pommes de terre sautées et salade de haricots pour Mimi et un poisson avec la fameuse « sauce Spreewald » pour moi. Franchement délicieux ! Et une cigogne nous regarde, debout sur une seule patte – chapeau!

Le lendemain matin, nous prenons le petit déjeuner dans le jardin à côté des poules, dont nous mangeons les œufs, qui picorent avec les oiseaux sur la pelouse. Aujourd’hui, nous ne faisons pas de vélo et nous traînons jusqu’à ce que M. Dorandt, notre gondolier privé, nous laisse monter dans son bateau peu profond pour un tour de trois heures et prenne la rame du bateau en frêne. Nous avons quelques scrupules à laisser l’homme travailler seul pour nous. Mais nous nous rendons compte que nos vingt euros sont mieux que rien pour lui, car les vacanciers, dit-il, sont devenus nettement moins nombreux depuis le passage à l’euro.

Pendant que notre passeur avance tout doucement, il attire notre attention sur les merveilleuses libellules bleues qui ne vivent qu’ici. Il explique aussi la différence entre la forêt plantée d’aulnes et le taillis sauvage et désordonné. Nous apprécions le gazouillis des oiseaux et il dit : « Seulement jusqu’au 20 juillet, alors ils auront élevé la couvée et se reposeront ». A chaque virage, il y a de nouvelles vues sur le vert des fougères, des nénuphars, des chênes, des frênes, des aulnes et des ormes qui se reflètent dans l’eau. C’est un moment unique!

Ah, voilà une écluse ! Un gamin d’environ quatorze ans se dresse devant nous, demande notre « précieuse attention » et, l’anneau dans l’oreille, débite son petit discours en toute décontraction :

« Je ne suis qu’un un pauvre type qui n’a pas de meuf.
C’est pourquoi je suis ici
Et je me fais un peu de blé.
J’ai du mal à travailler dans cette écluse,
Alors donnez-moi un peu plus ! «
Nous rions aux éclats et je vais chercher deux pièces de cinquante centimes françaises tout neuves dans notre bourse commune. Son commentaire – du fond de ses tripes : « Cooool » !
Nous poursuivons notre route en passant devant la maison du garde forestier, sur les Flieβe, qui sont des bras secondaires de la Spree, et sur les canaux. Nous croisons des canoës remplis de jeunes avec un walkman sur la tête et des péniches pleines à craquer, avec les bouteilles de bière posées sur les tables.
Mais juste après, le silence revient autour de nous et nous profitons de ce luxe.
Notre batelier nous parle du terrible hiver 96/97, où toutes les rivières étaient gelées à dix mètres de profondeur et où tous les poissons mouraient. Et des cigognes qui ne vont se nourrir que dans une prairie fauchée et maintenue courte. Elles élèvent au maximum quatre jeunes, qu’elles jettent ensuite inexorablement hors du nid quand elles n’arrivent pas à se procurer de la nourriture.
Lorsque nous accostons à nouveau après ces heures magnifiques et instructives, le ciel se couvre d’un noir menaçant et nous atteignons tant bien que mal la ferme avant qu’un violent orage ne s’abatte sur nous.
Je suis merveilleusement détendue et me laisse volontiers bercer par le crépitement de la pluie pendant la sieste. Mais le soir, nous pouvons à nouveau déguster notre repas dehors sous un beau soleil. Le fromage blanc à l’huile de lin, les pommes de terre et la salade de haricots ne sont pas seulement délicieux, mais aussi si bon marché que nous sommes bien en dessous du budget journalier que nous avions fixé. Nous nous régalons donc en toute bonne conscience.
Le lendemain matin, dimanche, il pleut à verse. Après le petit-déjeuner, nous bavardons longuement avec la maîtresse de maison. Il en ressort que leur vie était vraiment meilleure à l’époque de la RDA ! Ils gagnaient tous les deux leur vie, lui comme serrurier, elle comme assistante maternelle. Malgré tout, l’argent ne suffisait pas et ils étaient heureux que la ferme leur rapporte un complément de revenu. Mais cela signifiait aussi se lever à cinq heures du matin, s’occuper du bétail et travailler ensuite au bureau jusqu’à quatre heures de l’après-midi. Après cela, ils prenaient un café et repartaient cultiver les champs et le jardin, puis s’occupaient à nouveau du bétail. A l’époque, ils louaient déjà des appartements aux estivants – cela s’ajoutait donc au travail.
Puis arriva la chute du Mur de Berlin. Il s’est retrouvé au chômage, mais au moins ses années de travail ont été prises en compte pour la retraite. Pas celles de sa femme qui trouve cela totalement injuste. « Si l’on déduit tout: les assurances, le TÜV( contrôle technique obligatoire) , par lequel notre péniche n’avait pas besoin de passer avant, le gaz, l’électricité, le téléphone, le journal et ainsi de suite, il ne reste plus rien. En octobre, parce que c’est une offre spéciale, nous irons passer une semaine sur les lacs de Mazurie ».
Elle a récemment visité Berlin-Est. Elle ne sait que dire combien c’est plus sale qu’à l’époque de la RDA. En revanche, elle raconte avec des yeux brillants un voyage en Russie, à quel point c’était propre là-bas et que les garçons sortaient le soir en costume, en chemise blanche et en cravate…
Vers midi, la pluie s’arrête et « Schnurps », le drôle de guide-concombre à vélo – que j’ai l’ai mis en première page de ce chapitre – nous mène saines et sauves jusqu’à Burg. Le terrain est un peu humide, l’air est délicieusement vivifiant. Nos jambes pédalent comme si de rien n’était ! Nous voyons un chevreuil brouter et – un ‘concombre volant’.

Il s’agit d’une sorte de biplan surdimensionné, dont le corps est un tracteur. Dans ses « ailes », les ouvriers sont allongés pour cueillir les cornichons à la main. C’est un travail très dur et je n’ose pas m’approcher pour les photographier. Je me promets de ne plus jamais me plaindre que les cornichons sont trop chers…!
Nous parcourons facilement les vingt-quatre kilomètres qui nous séparent de le petite ville de Burg et parvenons tout juste au « restaurant de la gare » lorsqu’il commence à se mettre à pleuvoir abondamment. La bière et le jus de pomme nous sont servis par un petit train télécommandé, c’est amusant.

Nous trouvons assez rapidement un logement, mais sommes consternées par la foule qui se perd sur le « Marché du Spreewald » au son de la — « musique bavaroise »! Nous passons l’après-midi à dormir et ne partons que le soir à la recherche d’un joli restaurant dans la petite ville redevenue calme. Et nous tombons bien : pour fêter le 14 juillet, nous dégustons un magnifique filet de sandre avec des queues d’écrevisses dans le très bon « Landhotel Burg« . Vive la cuisine allemande !
Le lendemain matin, j’essaie de bavarder un peu avec la femme qui nous sert le petit-déjeuner, mais c’est comme si elle était gênée. Je fais l’éloge des magnifiques nouveaux toits que l’on peut admirer de tous côtés. Commentaire sec : « Ils se sont tous emballés, tout ça n’est qu’à crédit ». Plus tard, nous sommes agacées par des remarques peu aimables comme « L’église se trouve généralement à côté de la place du marché » lorsque je demande où il y a un atelier de réparation de vélos ou « Nous ne vendons que des légumes » de la part d’une femme qui se tient à côté de caisses de pommes. Ils ne sont vraiment pas très sympas ici. Exception faite d’un homme qui attend sur son vélo à côté de nous à la guérite et qui souhaite manifestement nous parler. Il dénigre sa ville, Vetschen, à tout bout de champ (à juste titre, comme nous le verrons). Il se plaint de la fermeture d’une centrale nucléaire qui employait sept mille personnes et du taux de chômage de 20% qui en résulte. Il ajoute que ses fils sont partis juste après la chute du mur et qu’ils ont trouvé du travail immédiatement dans les « anciens Länder » de la République féderale..
Pour dire quelque chose de positif, je loue une fois de plus les beaux toits, portes et fenêtres des maisons, car c’est vraiment ce qui nous saute aux yeux partout. Mais lui aussi se contente de balayer d’un revers de main, en disant que tout cela n’est que du vent à crédit.

Nous poursuivons notre route en empruntant une magnifique allée de bouleaux, le long de la Leipe, jusqu’à Lübbenau. C’est une petite ville particulièrement jolie ! Pas étonnant que ce soit le cœur du Spreewald.

Il y a des années, nous étions déjà ici, venues de Berlin en voiture. Nous avions fait un tour en barque et nous nous avions juré de revenir. Ce matin, nous sommes donc très fières de nos vélos, d’autant plus que j’ai maintenant un porte-carte très pratique à l’avant.

Malheureusement, les hôtels sont tous pleins, bien que nous soyons en début de semaine. Nous sommes donc envoyées dans le quartier de Zenkwick – et nous nous retrouvons d’un seul coup dans un « bâtiment socialiste », d’une laideur choquante, qui n’a rien à voir avec la petite ville coquette de Lübbenau ! Le contraste entre ces bâtiments et la partie ancienne de la ville, dans un espace aussi restreint, est très brutal et nous parlons encore longtemps au dîner de la chance que nous avons de pouvoir vivre chacune dans un environnement harmonieux.
Le lendemain matin, nous nous rendons à vélo dans le village idyllique de Lehde, où nous visitons le musée du concombre et où l’on nous explique la culture du raifort. Nous achetons de la liqueur de prune, des cornichons à la moutarde, du raifort et d’autres souvenirs, puis nous reprenons le chemin du retour en longeant la Spree, dans laquelle je prends un bain rafraîchissant, tant il fait à nouveau chaud et humide.

Il y a un an, j’ai acheté un compteur kilométrique pour mon vélo à Ulm et aujourd’hui, c’est le grand moment : nous avons parcouru les mille premiers kilomètres !
Le paysage change peu à peu, de grands champs de blé alternent avec des forêts de pins. À Goyatz, notre Waterloo nous attend : c’est complet ! Pas de chambre, pas d’appartement, rien. Un peu désespérées, nous nous adressons à la propriétaire d’un magasin de fleurs. C’est la première fois depuis que nous sommes dans le Spreewald que nous faisons l’expérience d’une véritable solidarité. Cette dame appelle d’abord une amie, puis une autre à la rescousse et ne nous lâche pas tant qu’elle ne nous a pas trouvé une chambre au Yachtclub-Haus de Jessern. Ouf ! Nous la remercions chaleureusement et partons, fatigués mais déterminées, pour arriver juste avant la pluie.
À partir de là, le temps devient malheureusement de plus en plus mauvais. Le lendemain, le pire nous attend: après une petite heure, nous devons déjà nous abriter sous un grand arbre, tellement il pleut. Cependant, nous avons rapidement froid. Malgré la pluie, nous enfourchons donc à nouveau nos vélos et filons vers le camping le plus proche. Là, une soupe de pommes de terre chaude nous réchauffe et nous décidons de continuer quand même à rouler pendant une pause sans pluie. Nous aurions mieux fait de renoncer, car au bout d’une demi-heure, à Leissnitz, il pleut à nouveau. J’aperçois bien le panneau » Gasthof » à la rescousse, mais une fois devant la porte, nous en voyons un autre, tout petit, qui nous taquine : » Ouvert à partir de 16 h 30 du mercredi au dimanche « . Malheureusement, nous sommes mardi, 13h30. Nous nous réfugions dans la chapelle du cimetière et attendons la fin de la pluie.

Le soir, nous arrivons malgré tout à la destination de notre étape, la jolie petite ville de Beeskow. Le ciel fait son possible, et nous pouvons manger – pour la dernière fois de ce voyage – dehors. Dans un très beau restaurant italien, ou plutôt sur sa terrasse, juste en face de l’imposante cathédrale Sainte-Marie. Le jeune restaurateur est vraiment sympa et, sans doute parce qu’il nous entend parler français et pense à la clientèle étrangère, il nous offre une grappa. Celle-ci, accompagnée de délicieuses pâtes au thon, nous réconcilie avec cette journée riche en eau.

Le dernier matin de notre randonnée se profile. Ce soir, nous serons déjà chez notre ami Sherlock à Berlin et nous nous en réjouissons toutes les deux. Mais avant cela, le dieu de la météo a encore placé le vent, qui vient TOUJOURS de face, et ce n’est pas très drôle avec presque soixante kilomètres à parcourir.
Mais – cadeau ! – nous avons droit à un spectacle gratuit des pilotes de planeurs de Königswusterhausen, qui répètent non loin de là. C’est tellement beau que nous nous demandons si nous ne devrions pas prochainement passer du vélo à ces ailes planantes. D’un autre côté, les pilotes sont toujours dépendants de tous ceux qui restent en bas et qui doivent d’abord les catapulter au loin avant de les récupérer. Nous préférons donc rester sur nos vélos et rouler joyeusement et sereinement vers notre ours berlinois.

