Chers Français,
Si vous en avez marre des autoroutes françaises, je ne peux que vous recommander les allemandes : elles sont au nombre de 120 (!) et toutes gratuites ! Bien sûr, il y a des fous du volant ici et là, et les innombrables poids lourds… leurs propriétaires polonais, turcs et roumains se réjouissent aussi de l’argent économisé.
Mais je peux citer d’autres avantages : à Düsseldorf par exemple, le métro est climatisé et à Berlin, les cyclistes s’arrêtent VRAIMENT au feu rouge – nous autres Parisiens ne pouvons qu’en rêver! Tout comme des escalators et des ascenseurs dans les stations de métro….
Notre avons fait près de 2500 km pendant notre voyage de PARIS à FRANCFORT SUR L’ ODER aller retour. J’ai pris la photo de l’adorable petit manège avant d’arriver à l’un des trrrès nombreux chantiers autoroutiers qui ont émaillé notre voyage et qui nous ont permis d’exercer notre talent de stoïciennes… !

Notre première étape est l’idyllique GRÄFRATH, la vieille ville de Solingen, car elle se trouve exactement à mi-chemin entre Paris et Berlin. Ici, le temps semble s’être arrêté. Le centre-ville compte environ 120 maisons. Il est classé monument historique dans son ensemble, un véritable joyau !

Notre hôtel, le GRÄFRATHER HOF, semble traditionnel de l’extérieur, mais à l’intérieur, il est très moderne et stylé avec beaucoup de goût. Nous obtenons une grande et belle chambre avec des lits kingsize, un coin salon et – je n’ai encore jamais vu cela – une petite bibliothèque au-dessus du minibar ! Nous nous rafraîchissons dans la luxueuse salle de douche et allons ensuite manger dans la brasserie attenante à l’hôtel. Le dîner est correct, mais ne peut absolument pas rivaliser avec le buffet du petit-déjeuner du lendemain matin. Nous l’avons rarement vu aussi copieux et d’aussi bonne qualité. Le prix de 17,50 € est vraiment justifié.


Nous poursuivons notre route vers Berlin et passons devant le mémorial d’HELMSTEDT-MARIENBORN qui rappelle les 45 ans du partage de l’Allemagne en RFA et RDA. Immédiatement, les images de la fouille de notre voiture par les Vopos/ »Police du peuple » refont surface. Lorsque Mimi me demande un peu plus tard si je connais l’une ou l’autre des villes indiquées avant les sorties, je réponds par la négative. Du temps de la RDA, il n’y avait pas un seul panneau, car il était strictement interdit de quitter la « route de transit ».
Lorsque nous entrons dans Berlin, je suis une nouvelle fois enchantée par le nombre d’arbres, d’espaces verts et de parcs. Et par la largeur des rues ! Voici un résumé de la comparaison entre les deux capitales : la superficie de Berlin est 8 fois plus grande que celle de Paris, pour 5 fois moins d’habitants. Berlin est la ville la plus riche en forêts et en eau d’Europe.
Cela se ressent particulièrement dans les quartiers huppés de Dahlem, Zehlendorf, Friedenau et Charlottenburg. Notre appartement d’échange est situé non loin de l’ancien aéroport de TEMPELHOF. Il est moderne, confortable et a l’avantage d’avoir une terrasse spacieuse où nous passerons les deux premières soirées très agréablement.
LE TOUR DES 7 LACS
Le dimanche nous offre un temps d’excursion radieux et nous partons pour la Havel. Notre bateau y est déjà amarré, comme s’il nous attendait : du lac de Wannsee, nous passerons par les lacs Pohl, Stölpchen et Griebnitz jusqu’au lac de Glienicke, puis nous reviendrons par la Moorlake et l’Île aux Paons. Je suis excitée comme une puce et je me réjouis comme une môme, car c’est aussi une première fois dans ma vie ! Lorsque nous vivions dans notre belle villa de Zehlendorf de 1957 à 1961, nous allions souvent à l’immense plage du Wannsee – d’ailleurs la plus grande d’Europe avec du vrai sable de la Baltique ! – mais nous n’avons jamais fait une telle promenade en bateau.

Partout, je vois des villas somptueuses avec des jardins magnifiquement entretenus jusqu’au bord de l’eau et pendant que nous glissons, notre capitaine Thomas a quelques anecdotes intéressantes.

Lorsque nous passons devant le pont de Glienicke, rendu célèbre par divers films sur des espions échangés, il nous raconte l’histoire absurde de la ville de GROSS GLIENECKE avec et sans trait d’union. Groß Glienicke – sans – était à l’origine une ville indépendante dans le Havelland. Sa partie orientale a été séparée en 1945 et rattachée au quartier berlinois de KLADOW sous le nom de « Groß-Glienicke – avec trait d’union. Il appartenait donc désormais à Berlin-Ouest. La partie restante – sans – est restée en tant que commune sur le territoire de la zone d’occupation soviétique. Elle est ainsi devenue plus tard une partie intégrante de la RDA et a donc « disparue » derrière le MUR DE BERLIN.

Il a également des choses étonnantes à raconter sur l’Île aux Paons : il y est interdit d’y craquer une allumette car le joli petit château est en bois. Il prétend que fumer est passible d’une amende phénoménale, mais je n’en ai pas trouvé la preuve. Je me rappelle que, jeune fille, je suis allée plusieurs fois sur l’île avec le ferry qui était encore gratuit à l’époque, mais on ne pouvait pas visiter le château.

Pour finir, le capitaine attire notre attention sur la villa d’été de MAX LIEBERMANN et nous conseille de la visiter. Bonne idée!
Mais d’abord, nous devons nous remettre du terrible ouragan qui nous frappe à 105 km/h le lendemain soir. C’est déjà la deuxième fois, voir mon chapitre « Le SPREEWALD, le Marais Berlinois » de 2002. Nous avons la chance que seul l’énorme parasol sur la terrasse ne tombe, mais sans briser la table en verre. Et que la nouvelle voiture de Mimi n’est pas garée sous un arbre, car on déplore à nouveau un mort et de nombreux blessés graves à cause de cette tempête ! Bref, nous avons besoin de nous changer les idées et allons faire des courses pour moi dans la Kantstrasse, à Charlottenburg.
UN PARFUM RIEN QUE POUR MOI
Harry LEHMANN, originaire de Silésie, a suivi une formation de parfumeur à GRASSE. En 1926, il a ouvert à Berlin une boutique tout à fait particulière dans laquelle il proposait des parfums et des fleurs artificielles qu’il avait lui-même fabriqués. A l’époque, il s’agissait d’une nouveauté qui avait même un but pratique, car les fleurs en plastique ou en tissu saupoudrées de parfum pouvaient améliorer l’odeur d’une pièce.
Mais ce qui était révolutionnaire, c’est que les femmes pouvaient choisir parmi exactement 72 parfums différents, portant des noms aussi exotiques que « Vent du désert », “Lambada” ou « Eau de Berlin ». Si cela ne suffit pas, il est possible jusqu’à aujourd’hui de se faire fabriquer son parfum personnel selon ses désirs.
Je ne sais plus comment je suis tombé sur ce magasin, mais son petit-fils, Lutz Lehmann, m’a si gentiment conseillée en 2007 que je suis rentrée à Paris ravie avec mon propre parfum. Je voulais maintenant voir ce qu’était devenu le magasin.


Les glaïeuls sont des vrais et les deux jeunes hommes, Vianney Lancres et Jannis Lucian Groh, qui ont racheté le magasin et l’ont rénové de fond en comble, sont tellement aux petits soins pour leurs clients, tant féminins que masculins, que le succès est assuré. En cinq minutes, Vianney retrouve ma fiche client sur laquelle est encore écrit de la main de Lutz Lehman « Parfum d’hiver Marén Berg » plus la formule. On me dit que le prix a « malheureusement un peu augmenté », mais cela me paraît évident, après 18 ans, et un quart d’heure plus tard, je repars, ravie contente, avec mes deux vaporisateurs à 52 € la pièce ! Je me demande combien ça aurait coûté à Paris…
LA VILLA DU PEINTRE MAX LIEBERMANN
Le lendemain, grand beau temps et nous partons à nouveau au Wannsee pour découvrir la villa de Max Liebermann, qu’il appelait fièrement « mon château » et où il passait les mois d’été avec sa famille.

Nous entrons d’abord dans le jardin potager ou le jardin paysan, où fleurs et légumes s’épanouissent en parfaite harmonie. Je tombe immédiatement amoureux de cette belle et je vais essayer de l’installer à Saint Maur !

Dans la maison elle-même, les pièces respirent le luxe tranquille. Il n’y a pas beaucoup de tableaux de Liebermann à voir, ils sont exposés à la Nationalgalerie et dans d’autres musées. Mais le jardin qu’il a aménagé selon ses propres idées et avec l’aide du théoricien des jardins Alfred Lichtwark devait bien sûr être immortalisé ici à plusieurs reprises.

Derrière la villa s’étend une magnifique pelouse qui descend jusqu’au lac du Wannsee. Un beau chemin bordé de bouleaux nous mène à l’eau et sur notre gauche se trouvent plusieurs roseraies. Nous sommes en admiration devant de tant de beauté !

Il disposait bien entendu de son propre quai pour amarrer son bateau au Wannsee.

Ses jardins dits « de haies » sont simplement parfaits.

Tout comme le délicieux gâteau fait maison que nous dévorons avec grand plaisir sur la terrasse en profitant de la vue fantastique, avant de remonter en voiture pour faire une fois le tour de la KRUMME LANKE, un joli petit lac où je venais me baigner quand j’étais jeune fille. À présent, il y a même deux mini-plages artificielles de sable où se prélassent quelques filles en bikini. Le chemin est très bien entretenu et agréable. Combien de fois l’ai-je parcouru avec mes parents et mon frère le dimanche, puisque nous habitions à quelques minutes de là.

Le soir, un deuxième gros orage éclate, toujours assez violent, et nous ne sommes pas vraiment tristes de partir de la ville pour explorer enfin la partie nord-est de l’ex-RDA.
FRANKFURT SUR L’ODER ET L »ODERBRUCH »
Ah, je suis fière ce matin: en moins d’une demi-heure, j’ai réussi – sans GPS, uniquement avec une carte ! – à sortir de Berlin et à rejoindre la bonne route nationale en direction de Francfort/Oder. Il fait à nouveau un temps radieux et la route n’est pas trop fréquentée, ce qui nous convient parfaitement. Ras le bol des autoroutes, nous voulons rouler lentement pour regarder le paysage. Celui-ci est très plan-plan : d’immenses champs de blé, pas encore moissonnés, alternent avec des villages endormis, dans lesquels bien des maisons attendent encore un ravalement depuis 1990… Entre les villages, il y a d’immenses zones industrielles où l’on vend des voitures et des machines agricoles.
Mais partout ici aussi ces belles allées, les arbres ne manquent vraiment pas ! Nous ne voyons que très peu de gens et du bétail nulle part ! Ce n’est qu’à 15 kilomètres de Francfort que les maisons deviennent plus modernes et presque coquettes – visiblement, les gens ont du travail ici.
Francfort nous déçoit un peu, nous trouvons la vieille ville très « neuve ». En voici la raison : A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville était presque entièrement détruite. Les autorités de la RDA ont eu la sympathique intention de vouloir en faire l’exemple d’une « ville industrielle socialiste »…
Ce n’est que 32 ans (!!) après la chute du Mur que la construction d’un nouveau quartier autour de l’Hôtel de ville et de l’église Sainte-Marie, tous les deux d’origine, a commencé. Pour nous, ce n’est malheureusement pas une réussite. Pourtant, comme souvent lors de nos voyages, nous avons de la chance : lorsque nous entrons dans l’église Sainte-Marie, nous tombons sur un concours de chorales et restons un bon moment, car ce qui est proposé est très bon et nous va droit au cœur.

Ensuite, nous mangeons un gâteau délicieux (oui, je me répète mais en Allemagne, je n’y résiste pas…) sur la promenade de l’Oder, avec vue sur le célèbre pont qui relie l’Allemagne à la Pologne – et le soir, un excellent repas vietnamien vient clore la journée.
DANS LA RÉGION DE L’ODERBRUCH
De toutes les agglomérations que nous avons traversées depuis Francfort, seule Bad Freienwalde restera dans nos mémoires, car elle possède un joli vieux centre-ville et un restaurant italien qui nous sert un délicieux « tiramisu » !

Cette partie de la région est très vallonnée, comme le montrent les nombreux noms se terminant par « berg ». En effet, des châteaux se dressaient autrefois sur ces collines et certaines tours de guet existent encore aujourd’hui. Nous passons donc par Dannenberg, Wonnenberg et Falkenberg pour nous rendre à ODERBERG.
Au début du 20e siècle, le canal Hohenzollern, aujourd’hui CANAL ODER-HAVEL, a été construit pour relier les deux rivières entre elles. Par une route malheureusement non goudronnée, nous arrivons, bien secouées, à notre destination, l’hôtel le RIVERSIDE-INN.

Le maître de maison, Patrick von Kriencke, nous conduit lui-même dans notre jolie chambre avec cette magnifique vue sur le jardin et la rivière, malgré la moustiquaire. Il nous explique gentiment en français toutes les commodités « incluses », notamment le buffet du petit déjeuner du lendemain.

Une fois n’est pas coutume, j’aimerais citer le site internet de l’hôtel :
DANS LA SIMPLICITÉ, IL Y A TOUJOURS UN PEU DE LUXE….
Depuis 1863 déjà, des hôtes viennent au pied du Teufelsberg, entre Oderberg et Liepe. L’auberge pittoresque de Monsieur Melzer, au bord de l’eau, était connue jusqu’à Berlin et Stettin pour son embarcadère de bateaux à vapeur.
Depuis 2018, Patrick et sa femme Katharina (qui « accessoirement » s’occupe avec amour et un savoir faire certain du grand jardin) dirigent l’hôtel. Il comprend, en plus des chambres, une salle de séminaire et on peut louer des canoës pour pagayer sur la rivière.
Nous nous précipitons aussitôt à la bibliothèque pour emprunter des livres, puis nous nous installons sur les agréables chaises longues du jardin. Ah, que c’est beau ici, c’est fantastique, nous sommes aux anges!

A peine assises à table pour le dîner, pendant que nous étudions le menu, Patrick arrive avec un bon Pinot Gris et quand je lui demande ce qu’il fait des griottes sur l’arbre devant nous, il me répond en souriant : « Rien, c’est pour les Kinnings/les mômes ! » Maintenant, il n’a plus besoin de me dire qu’il vient de Berlin, car j’ai entendu ce mot il y a environ 65 ans dans la bouche de ma mère, qui nous disait à mon frère et à moi : » Kinnings, ne faites pas autant de bruit, mes patients vont arriver… » !

Nous mangeons la spécialité de la région, à savoir les « pierogi », des petits chaussons farcis au fromage, comme on les connaît en Pologne, et de très bons filets de poisson. Pour finir, le chef nous offre une eau-de-vie de poire et c’est ainsi que nous nous endormons sans être bercées, béatement.
Le lendemain matin, après le buffet du petit-déjeuner très bien garni et copieux, nous nous adressons à la patronne. Nous aimerions faire une petite randonnée d’environ 1 ½ heure, si possible avec de belles vues sur l’eau et la nature. Nous sommes à la bonne adresse chez Katharina, qui nous indique gentiment la direction et le chemin.
Après un trajet cahoteux sur la route d’hier, nous finissons sur le parking de LIEPE et trouvons immédiatement le pont sur le canal de l’Oder et notre itinéraire à travers la réserve naturelle.

Ce qui suit est un pur enchantement : le soleil, un vent tiède caressant, le chant jubilatoire des oiseaux et l’appel insistant du coucou, qui nous fait toutes deux atteindre au moins 120 ans (en Allemagne, ce chant était autrefois prémonitoire : le nombre de ses notes correspondait au nombre d’années qu’il restait à vivre, pour celui qui l’entendait). Papillons et libellules nous tournent autour, puis nous arrivons à un arbre géant dans lequel – nous nous demandons comment elles sont arrivées là – deux paires de chaussures se balancent….

Nous nous tombons dans les bras en riant, tellement nous sommes enthousiasmées par cette merveilleuse matinée. Il ne peut pas y avoir de plus beau moment et c’est pourquoi nous chantons à pleine gorge et avec un cœur tout aussi plein :
« Ce sont ces petits millièmes d’instants qui m’accordent quelque fois la seconde du bonheur »
La nôtre aura tout de même duré 85 minutes!
