
Ahmed se tient prudemment en équilibre sur le muret pour ne pas tomber dans le jardin situé deux bons mètres plus bas ! Il pourrait marcher tranquillement sur le chemin de terre qui mène au village de GORBIO – si une grosse camionnette ne bloquait pas complètement le passage. Mireille et moi ne pourrions en aucun cas tenter un tel numéro d’équilibriste avec nos gros et lourds sacs à dos.
Nous pensons que ce petit homme filiforme, qui porte un gros catalogue dans une main et une lourde serviette dans l’autre, est un représentant et le propriétaire de la voiture qui a rendu visite à un client et qui va maintenant monter dans la voiture et s’en aller.
Mais non ! « Je suis l’électricien et je dois installer le compteur dans la maison là-bas », nous dit Ahmed. Trois hommes costauds sortent alors de cette même maison et l’un d’eux nous interpelle : « Vous voyez bien qu’on travaille. Je déménage et je n’ai pas le temps de me promener comme vous autres ! «
Nous sommes indignées ! Premièrement, notre randonnée n’est pas une « promenade », ce que l’homme pourrait très bien voir à nos gros sacs à dos. Deuxièmement, cet individu n’a pas le droit de bloquer toute la rue. Mais à cause de ses effluves d’alcool encore plus que de son attitude menaçante, nous décidons de ne pas nous laisser gâcher cette belle matinée et nous nous mettons sur le côté en pour laisser les hommes décharger la voiture.
Ahmed, visiblement embarrassé par la situation, propose son aide aux autres pour que les choses aillent plus vite. Et voilà qu’il se passe quelque chose d’inouï : l’un des ouvriers et Ahmed – que les autres appellent ainsi – ont saisi une armoire à glace pour la traîner le long du chemin de terre jusqu’à la maison. Un téléphone portable sonne et le Français, Gauloise au coin des lèvres, téléphone tranquillement et confortablement, tandis qu’Achmed regarde au loin en tenant seul l’armoire à glace ! Il n’ose pas protester, car il tient à son emploi. Le racisme dans ce coin est énorme et malheureusement la norme.
Nous sommes toutes les deux très choquées. Lorsque la voie est enfin libre et que nous découvrons dans le petit village de Gorbio (par ailleurs très joli) de surcroît une véritable colonie de nains de jardin avec un chameau en porcelaine en prime, nous repartons aussi vite que possible….
Notre sentier de grande randonnée » Le balcon de la Méditerranée « va de Menton à Marseille, sur 500 km le long de la côte et à travers l’arrière-pays. Hier matin, nous sommes parties de MENTON.

En passant par la vieille ville et ses magnifiques hôtels anciens, nous montons jusqu’au cimetière unique en son genre – où les morts sont enterrés par religion dans des sections différentes, car même ici, on ne se mélange pas !

Nous continuons à monter en direction de l’autoroute, vers le point de départ de notre randonnée de six jours, situé au-dessus. Nous nous arrêtons pour respirer profondément. Nous ne sommes qu’à 150 m au-dessus de la mer et nous avons déjà chaud ! Le coupe-vent et le pull disparaissent dans le sac à dos et nous continuons à marcher – le 25 février, à dix heures et demie du matin – en pantalon long et en T-shirt à manches courtes. Nous grimpons encore 550 mètres de dénivelé et sommes bien essoufflées. Mais les vues magnifiques sur la mer et la côte nous récompensent largement.

Malheureusement, au lieu du gazouillis des oiseaux, nous sommes longtemps accompagnées par le bruit de la circulation de l’ autoroute, certes très pratique, mais très laide; défigurant le paysage. Ce n’est qu’en haut du col que le silence se fait enfin. Je savoure le soleil, la chaleur sur ma peau et l’odeur du romarin sauvage en fleurs. Mireille trottine, beaucoup moins euphorique, car elle est en train de roder ses nouvelles chaussures de randonnée…
Mais un citron pressé à Castellar la remet sur pied – et elle en aura encore besoin aujourd’hui ! À propos de citrons : A Menton, la ville la plus chaude de France, où les oranges et les citrons poussent toute l’année, a lieu la fête annuelle en leur honneur. Des figures plus grandes que nature sont formées dans toute la ville à partir de citrons. Les défilés et toutes les boutiques sont remplies de confiseries au citron, de liqueur de citron, de vinaigre de citron, de savon au citron et de tout ce que l’on peut faire avec ce fruit.

À CASTELLAR, je demande à la femme qui nous apporte le rafraîchissement combien de temps il nous faudra encore pour atteindre SAINTE AGNES, notre destination pour cette étape. « Oh, certainement encore trois bonnes heures. La descente jusqu’à Monti est facile, mais ensuite… « Elle laisse sa phrase en suspens, et je n’en augure rien de bon. C’est de toute façon assez cruel de devoir encore faire une montée à la fin d’une journée de randonnée, alors qu’on est déjà bien fatigué. Celle-ci est vraiment difficile, car elle s’étire désespérément. Une seule solution : courage, on y va !
Les violettes, les primevères sauvages et les orchidées roses le long du chemin, ainsi que les oliviers et les mimosas, et même les iris déjà en fleurs dans les jardins, m’aident à oublier le sac à dos qui commence à peser lourd et les jambes qui ralentissent. La dernière partie est vraiment assez horrible.

SAINTE AGNES, le plus haut village de montagne de la Côte d’Azur avec ses 650 m au-dessus de la mer, n’est plus qu’à une centaine de mètres. Hélas, il nous faut encore monter des escaliers, passer devant la chapelle, monter des escaliers vers la place de l’église ET encore des marches vers l’hôtel… !
Après sept heures et demie de marche, nous arrivons à l’hôtel SAINT YVES plus mortes que vives. Nous avons d’abord besoin d’une bonne douche chaude pour nous remettre de nos efforts. Dieu merci, je n’ai pas une seule ampoule grâce à un nouveau produit que l’on peut coller sur les zones critiques en prévention avant de partir en randonnée. Un vrai progrès !
De la fenêtre de notre chambre, nous avons une vue unique sur la vallée jusqu’à la Méditerranée, qui semble se trouver au loin. En réalité, nous avons marché seize kilomètres, mais la mer n’est qu’à huit kilomètres à vol d’oiseau.
Un serveur très aimable, voire chaleureux, nous conduit à notre table dans ce restaurant accueillant, au milieu duquel une cheminée ouverte diffuse une chaleur et un parfum agréables. Nous avons réservé la demi-pension, c’est-à-dire une chambre avec petit déjeuner et repas du soir pour un peu moins de 230 Francs par personne.

Nous assistons maintenant à quelque chose de très particulier. Alors que partout ailleurs, le « voyageur d’un soir » trouve moins de quantité et malheureusement aussi souvent moins de qualité que les vacanciers « normaux », c’est exactement l’inverse ici. Après un très bon apéritif à la liqueur d’orange, on nous sert successivement : du jambon cru pour Mireille, une salade de tomates avec des olives noires et des petits morceaux de roquefort pour moi ; ensuite un pâté de légumes chaud, suivi d’un poisson entier avec une délicate sauce au citron et aux câpres et enfin encore du lapin cuit au vin, couronné de fromage et d’une glace. Le tout est accompagné d’un vin de pays excellent et bon marché. Nous nous régalons et tombons dans nos lits comme des poules à neuf heures du soir.
Deuxième jour de randonnée, temps radieux, dix heures du matin. Après avoir admiré l’amandier en fleurs dans la cour du château, nous marchons sur le magnifique chemin du curé Pierre Rochard, d’où nous avons toujours de magnifiques vues sur le cirque rocheux de Sainte Agnès. Aujourd’hui, nous allons pouvoir contempler toute la journée le parcours effectué hier et c’est un vrai plaisir !


De plus, après l’épisode raconté plus haut, nous arrivons avant le village de GORBIO à l’endroit du chemin où nous marchons vraiment juste au-dessus de la mer, c’est-à-dire au MONT GROS. Nous profitons de notre « balcon » pendant le pique-nique pour admirer la petite ville de Roquebrune qui semble à portée de main.

En dessous de nous, la mer turquoise, au-dessus de nous, une demi-douzaine de deltaplanes multicolores qui s’ébattent dans le ciel – c’est tout simplement fantastique !

Malheureusement, la montée qui suit est à nouveau très difficile et longue. Je me fais une ampoule malgré le coussinet de protection qui a glissé et je commence à boiter. Mimi doit également troquer ses chaussures de marche contre les baskets qu’elle a emportées par précaution et trotte elle aussi mollement sur la route goudronnée que nous avons atteinte en début d’après-midi.

Même les amandiers en fleurs le long du chemin ne peuvent pas nous faire oublier que, pour une fois, notre guide de randonnée s’est trompé : Le temps de marche indiqué ne peut au grand jamais être parcouru avec un sac à dos – même pas très lourd -, le dénivelé n’est pas indiqué correctement et les étapes sont bien trop longues en raison du manque d’infrastructures. Il n’y a pas de refuges ici et de nombreux hôtels sont fermés à cette période de l’année pour cause de rénovation ou ont leur jour de repos juste au moment où nous arrivons.
Pour ce soir, Mimi a réservé une chambre à LA TRINITE et a dû envoyer un acompte de 180 Francs à un homme déjà très peu aimable au téléphone. Peu après trois heures, nous décidons ensemble de renoncer à la descente de deux heures annoncée comme extrêmement difficile en raison de nos pieds meurtris. Exceptionnellement, nous continuerons en stop. Nous trouvons sans difficulté une voiture, mais à l’arrivée, la petite ville est moche à souhait. De plus, le trafic fait un bruit épouvantable et notre hôtel n’est guère accueillant.
Que la caution aille se faire voir, fuyons !
Deux bus et deux heures plus tard, nous descendons dans l’un de ces charmants villages de montagne, certes très agréables pour une soirée ou un court séjour, mais dans lesquels je n’aimerais pas vivre malgré la beauté du paysage et le climat agréable. TOURETTE-LEVENS est l’un d’entre eux.

Tous les seniors fortunés de France se sont réunis ici, mais la mentalité des habitants est assez détestable. Je ne rencontre pas une seule boulangère aimable, elles sont soit hautaines, soit peu bavardes, soit les deux ! La Trinité, qui était aussi un village à l’origine est devenu une lointaine banlieue de Nice avec une très forte proportion de travailleurs immigrés arabes.

À l’arrêt de bus, nous discutons avec deux jeunes Algériennes qui sont très contentes de pouvoir – pour une fois – offrir leur aide. Elles nous expliquent volontiers où nous devons descendre et où nous devons changer de bus. Nous les remercions bien sûr très poliment et elles sont visiblement fières de pouvoir nous prêter main forte et d’être reconnues pour cela. Leur commentaire amer dans le bus, dans lequel ne montent presque que des étrangers, pour la plupart des Africains : « Le bas peuple va à Nice le samedi soir pour faire la fête ».
Ce n’est pas tout à fait vrai, car même les propriétaires de notre distingué « Logis de France » nous mettent à la porte du restaurant à 20h30 tapantes ! Leur subtile stratégie consiste à nettoyer la salle où nous sommes encore assises en train de boire du vin, de manière si bruyante que nous comprenons et nous nous réfugions dans notre chambre. La maîtresse de maison, absolument pas gênée, se sent à l’aise pour donner une explication lapidaire : « Nous voulons assister au corso fleuri à Nice ce soir ». Il est clair que dans ce cas les clientes ne sont pas importantes.
Le lendemain matin, au son des cloches dominicales, nous partons, revigorées, à travers la montagne vers la charmante petite ville d’ASPREMONT. Je fais même un tour d’honneur pour voir, depuis la place la plus haute, le village de SAINT JEANNET que nous avons choisi pour ce soir. Comme le temps est plutôt brumeux, j’ai du mal à l’apercevoir au loin sur l’autre versant de la vallée du Var. Cela signifie que nous devons descendre 500 mètres de dénivelé, puis remonter 700 mètres sur l’autre versant et redescendre encore 200 bons mètres. Eh bien, allons-y !

Tout d’abord, nous empruntons une petite route goudronnée qui nous fait passer devant de très belles villas entourées de grands jardins, dont beaucoup avec piscine, le tout luxuriant. Mais les nombreux panneaux « Attention alarme électronique ! Attention au chien qui mord ! Ici, je veille ! « ne nous plaisent pas du tout.
Les chiens sont malheureusement dressés en conséquence, ils aboient de toutes leurs forces, sautent comme des fous derrière les grilles ! Ils montrent les crocs et ne sont même pas rappelés par les propriétaires qui travaillent dans les jardins. Nous perdons malheureusement plusieurs fois notre balisage rouge et blanc, car des personnes mal intentionnées l’ont en partie découpé au couteau dans les arbres sur lesquels il est peint. Comme si les randonneurs allaient s’introduire par effraction pour remorquer la télévision dans leur sac à dos. Et puis, nous ne faisons pas vraiment de bruit. Seul un panneau nous fait rire de bon cœur : « Attention ! Ici des chats sympas ! « suivent les noms des chatons et celui des enfants sont écrits en lettres gribouillées. Mignon !

En bas, dans la vallée, nous traversons LE VAR et entamons la très difficile montée vers GATTIERES, qui nous coûte plus que quelques gouttes de sueur. Nous rencontrons plusieurs hommes qui ont installé un stand de tir à l’arc dans la forêt et qui nous regardent plutôt avec pitié. Ce n’est qu’après coup que nous comprenons pourquoi.

Lorsque nous sommes enfin arrivées au CANAL DE LA GRAVIERE et que nous profitons de la vue, nous ne savons pas encore que nous allons devoir descendre une pente très raide et dangereuse. Nous devons nous aider mutuellement malgré nos bonnes chaussures de marche.
Pour faire bonne mesure, quelques chasseurs tirent dans le coin, si bien que nous commençons, par peur, à nous injurier bruyamment – jusqu’à ce que nous nous arrêtions en riant, car nous sommes arrivées en bas, saines et sauves ! Il nous faut toutefois encore un certain temps avant d’arriver, fatiguées et poussiéreuses, devant notre hôtel à SAINT JEANNET.
L’accueil est déjà très chaleureux : La proprio, cigarette au bec pendant qu’elle me parle, est à peine aimable et l’homme derrière le comptoir ne lève même pas les yeux, occupé qu’il est à laver les verres. Une vieille femme nous précède dans l’escalier et nous indique notre chambre. Je demande à pouvoir emprunter un sèche-cheveux. Il ne viendra jamais. Nous découvrons notre logement actuel. La vue depuis le balcon sur la vallée, la mer et la Corse est tout simplement unique.

L’équipement de la chambre est malheureusement aussi « unique » ! Une ampoule solitaire s’ennuie dans le lustre, l’abat-jour de la lampe de chevet est cramé. La porte de la salle de bains est en contreplaqué et n’a pas de poignée. Si je n’avais pas sauvé ma meilleure amie, Mimi serait morte de faim dans la douche (qui ne possède bien sûr pas de rideau)…
Nous nous en sortons donc avec une inondation et, après une bonne heure de repos, nous nous éclipsons par une entrée latérale de l’hôtel. Nous n’avons en effet pas du tout envie de confier notre faim d’ours à des gens aussi grognons et sordides. De plus, nous avons entendu parler d’une pizzeria où l’on peut manger bien et pour pas cher.
Une délicieuse pizza géante et une bonne discussion avec les jeunes propriétaires nous font remonter le moral. Ils ne sont ni l’un ni l’autre originaires d’ici et nous racontent des choses intéressantes : les « grandes » familles locales de ce très célèbre bourg, qui possèdent presque toutes les terres autour, ont immigré d’Italie au début du siècle, ont travaillé très dur et sont parvenues à quelque chose. Malheureusement, ils ont oublié et veulent oublier leurs origines et sont à leur tour opposés à tout ce qui s’appelle « travailleurs immigrés » ou simplement « étrangers ». Les deux jeunes gens n’ont trouvé leurs amis que parmi les immigrés, mais ils ne peuvent plus imaginer leur vie sans le « Baou », la montagne du village.
Le lendemain matin, je comprends parfaitement Jacques Prévert, qui a écrit un poème qui est presque un hymne au village, et j’aimerais bien continuer à marcher sur le chemin prévu, tant le paysage est à nouveau magnifique. Mais Mimi me demande de rendre la deuxième moitié de notre randonnée un peu moins difficile et nous prenons donc aujourd’hui une journée de repos à GRASSE, où nous nous rendons sans peine en bus. Les personnes âgées qui n’ont pas de voiture mais beaucoup d’argent parviennent à obtenir que leurs besoins soient pris en compte : Le réseau de bus de la Côte d’Azur est exemplaire !
À GRASSE, la recherche d’un hôtel s’avère laborieuse, car nous ne voulons pas dépenser trop d’argent. Nous avons failli atterrir chez les sœurs catholiques, mais nous trouvons l’endroit trop maussade à tous points de vue. Cette ville nous déçoit. La vieille ville est sombre, humide, sale, de nombreuses boutiques sont fermées et à vendre. Il y a vraiment beaucoup de Magrébins partout. Les magasins de parfumerie proposent tous la même chose, le musée Fragonard est carrément sinistre et si Pierre Baltus n’existait pas, nous aurions rayé Grasse de notre mémoire. Mais il existe !
Obstinés comme nous pouvons l’être quand quelque chose nous fait vraiment saliver, nous avons quitté un premier restaurant où nous étions déjà installées à cause de l’odeur très nette de graillon. Pour nous consoler, nous avons pris l’apéritif dans un bistrot typique d’une petite ville française, en attendant l’ouverture du restaurant, et nous avons même téléphoné pour être sûrs d’obtenir deux des quinze places dans ce mini temple de la gastronomie.

Mais cela en valait vraiment la peine ! Déjà, le décor et tout ce qui l’entoure est à la fois original et de bon goût : sur les tables, il y a de la belle porcelaine, aux murs, des aquarelles, des photos anciennes, et de très nombreux diplômes qui rendent hommage à l’art du cuisinier. Un piano trône dans un coin et la cuisine est si petite que la vitrine à desserts n’a pu trouver sa place que dans le restaurant. Le cuisinier lui-même reste caché derrière le rideau qui empêche de voir la cuisine.
Nous sommes de plus en plus impatientes de découvrir les plaisirs qui vont suivre. Le pâté de viande chaud pour Mimi et mon entrée de poisson Rascasse sont délicats, nos filets de poisson à l’ail sont savoureux et de délicieuses fraises gratinées complètent le repas.
Le lendemain matin, nous reprenons la route en direction de CABRIS, toujours sur notre sentier de randonnée. Au début, nous avançons bien, nous passons devant le « plateau de Napoléon », où ce dernier a déployé plus de mille hommes en 1815 après s’être échappé de l’île d’Elbe. Mais je commets ensuite une erreur décisive sous le soleil du matin. Je perds de vue les panneaux de signalisation et continue à suivre le nez au lieu de revenir sur mes pas jusqu’au dernier panneau. Cela nous coûte une heure de marche sur les pavés et je maudis le fait que c’est de ma faute !

Seule la vue magnifique sur le paysage vallonné depuis la terrasse du seul hôtel de luxe du village me redonne le sourire et nous continuons à marcher. Aujourd’hui, c’est le premier jour sans courbatures et rien que ça nous fait plaisir.
À midi, il fait vraiment chaud et nous passons de plus en plus souvent devant des arbres à mimosa en fleurs, qui se transforment peu à peu en groupes et en bosquets entiers. e ne savais pas qu’un seul mimosa pouvait littéralement étouffer tout un jardin si on le laissait faire, tant ces arbres s’étendent facilement. Mais dans la nature, ils sont un plaisir pour les yeux et le nez !

En début d’après-midi, nous arrivons au VAL DE TIGNET, où j’ai réservé une chambre à l’Auberge de la Source. Et tout à coup, nous nous trouvons sur une petite route devant un ange ! Il s’appelle « Colombe » et la petite fille, aussi gentille et innocente que l’oiseau, nous regarde depuis son landau, nous deux randonneuses poussiéreuses qui parlons avec leur grand-mère. Il s’agit d’une sexagénaire pleine de rides, mais à l’allure sportive, avec laquelle nous discutons très gentiment de notre randonnée, de la région en général et des difficultés à trouver un hébergement en particulier.
Elle n’a jamais entendu parler de notre hôtel, ce qui ne présage rien de bon, et nous invite spontanément à passer la nuit chez elle. Malheureusement, Mimi refuse poliment mais très fermement. Elle a peur de déranger, alors que j’aurais aimé rester plus longtemps avec cette femme intéressante et cette délicieuse petite fille.
Une heure plus tard, je lui reproche amèrement son manque de simplicité, car l’hôtel est situé à trois kilomètres et demi du centre du village, au bord d’une route nationale très fréquentée, laquelle nous devons nous taper par cette chaleur. Et pour couronner le tout, le restaurant est fermé aujourd’hui. Quelle galère ! Que faire maintenant ? Comme la propriétaire fait des courses en ville, nous tenons conseil de guerre sur sa terrasse. Mimi, optimiste, pense que nous pourrons au moins avoir une omelette ici. Moi, ça me fait peur, car je connais mieux qu’elle la mentalité des hôteliers français…
Mais avant qu’une vraie dispute n’éclate, notre ange gardien s’approche déjà sous la forme d’un dentiste qui cherche des chambres d’hôtel pour le mariage de son fils prévu en août. Lorsqu’il entend parler de nos soucis, il propose spontanément de nous emmener dans le prochain village où il a son cabinet. C’est ainsi que nous trouvons à PEYMANADE, à l’Hôtel de la Poste, une chambre très simple pour 195 Francs avec douche et toilettes sur le palier. Mais lorsque je me plains au portier que la douche n’est pas propre et que notre lampadaire ne fonctionne pas dans la chambre, il prononce cette phrase UNIQUE: » Vous aviez demandé une chambre simple. «
Si un hôtelier suisse avait entendu ça ! Mais dans la province française, l’hôtellerie est encore assez mal en point. Malgré tout, la soirée se passe très bien dans un petit restaurant décoré de peintures à l’huile et d’aquarelles, où je déguste l’un des meilleurs steaks « tartare » de ma vie. Là encore, la discussion est très animée avec les propriétaires, originaires de Grenoble et qui ont l’expérience de la montagne. Ce qui ne les empêche , hélas, pas de nous donner de fausses indications pour notre dernière journée de randonnée, et nous nous retrouvons dans une » jungle de mimosas » où nous prenons notre dernier pique-nique.

Je décide secrètement de rattraper un jour le morceau laissé de côté entre le ‘Baou’ de St. Jeannet et Grasse. Peut-être en automne, quand il n’y aura certes pas de mimosas, mais des figues, des amandes et le vin nouveau ? Et Mimi sera ravie de découvrir l’une des toiles du restaurant le jour de son anniversaire !
